La genèse du livre
« Mizuwari » n’est pas le nom d’un whisky et encore moins celui d’une distillerie. « Mizuwari » signifie littéralement « coupé avec de l’eau » (et quelques glaçons). C’est une manière typiquement japonaise de servir les alcools forts afin d’en atténuer la puissance, développer les arômes et les accommoder au palais local.
Bruno Labarbère se rend au Japon pour la première fois en 2011, un peu par hasard et beaucoup par amour. Il est conquis par ce pays aussi étrange que familier. Ce goût pour Tokyo se confirme lorsqu’il commence à travailler avec des ingénieurs japonais. De retour en 2013, lors d’une soirée karaoke, il découvre le service mizuwari : coup de cœur immédiat et révélation gustative. Ainsi, l’eau calme la brûlure du whisky, révèle les subtilités du sake et accentue la prune de l’umeshu ! Journaliste dans l’âme et de métier, il lui faut approfondir le sujet et, pour son troisième voyage en 2017, souhaite initialement réaliser un documentaire sur les distilleries du pays. Mais la Golden Week de 2017 et quelques errements logistiques en décident autrement.
Le non-reportage avorté dérive en pérégrination dans les rues et venelles de Tokyo, à la rencontre non pas de ceux qui fabriquaient les alcools locaux mais de ceux qui les consommaient " mizuwari ou nonIl se perd dans les vapeurs de Golden Gai et les nuits de Shinjuku jusqu’au petit matin. Il s’égare dans les espaces et les temporalités multiples où hier, aujourd’hui et demain se chevauchent et cohabitent avec un naturel déconcertant. De ces amitiés aussi intenses qu’elles ne durent que quelques heures et plusieurs verres (parfois l’inverse), il ramène des images qu’il ne redécouvrira que quelques années plus tard, lorsque la Covid-19 ferme les bars et interdit toute flânerie nocturne. Une replongée dans ce Japon qu’il affectionne tant mais où il n’est pas retourné depuis le début de la pandémie. Un orient extrême qu’il aimerait que chacun (re)découvre et s’approprie à travers ce livre qui est aussi un carnet de voyage.
Le mot du photographe Bruno Labarbère
“Ce livre n’est pas un livre sur le whisky. Il est plutôt celui d’une déambulation semi-éveillée dans les ruelles de Tokyo, de bars en bars, à la rencontre, généralement fortuite, des amateurs de mizuwarihighballs, umeshus et saké sours qui, à la nuit tombée, verre après verre, rappellent que si le Japon a beau être le pays de la tempérance, le lever de coude local sait atteindre un niveau olympique en oubliant toute modération.
Ce livre n’est pas non plus un livre sur l’ivresse, mais plutôt sur les ivresses. Celle qui vous envahit lorsque vous êtes brutalement plongé dans une culture inconnue. Celle qui vous entête lorsque vous commencez à en discerner les contours, les us, les coutumes. Celle qui vous tétanise face à la barrière de la langue. Celle qui vous donne le vertige lorsque vous en effleurez toute la délicatesse, les plis et replis. Celle qui vous fait frissonner, d’excitation et d’impatience, lorsque vous réalisez que vous n’en sonderez jamais les mystères. Mais ce livre, surtout, est un éloge à la vie, au chaos si bien ordonné et aux ombres de Tokyo."“
Le travail photographique
La série Mizuwari
— Lauréat du Prix Summilux.net 2021
- UN INSTANTANÉ DE LA SOCIÉTÉ JAPONAISE D’AUJOURD’HUI
- UNE ÉVASION PERSONNELLE, EN ÉCHO À CELLE DES JAPONAIS QU’IL A RENCONTRÉS
Cette errance est prétexte à saisir l’âme japonaise, à tenter d’en capter les traits les plus saillants. Photographie de l’instantané, le travail de Bruno Labarbère s’intéresse d’abord aux visages, aux êtres.
Par le choix de cadrages audacieux, avec un goût particulier pour le flou qui sied si bien aux corps en suspens, il semble lui-même faire partie du décor, dévoilant au fil de son voyage les coulisses d’un monde qui peut nous échapper si nous n’en possédons pas les codes.
En s’attachant à témoigner de cette pratique sociale de consommation d’alcool à l’intensité typiquement japonaise, c’est tout un pan sociologique du Japon que Bruno Labarbère réussit à faire émerger. De ses déambulations nocturnes, il a extrait un condensé, autant sur le fond que sur la forme, de l’âme nippone au moment où elle se libère du carcan social et du poids des traditions. Les corps et les esprits s’échappent au dehors dans les vapeurs de la nuit en même temps que l’effet de l’alcool se propage au dedans.
Terminée en 2020, cette série propose un voyage charbonneux et intense — comme le sont ses noirs & blancs — au cœur d’une intimité dévoilée jusqu’à ce que les corps enivrés s’affalent au petit matin sur le bitume.
La combinaison d’images très contrastées avec des images en couleurs permet de jouer sur différentes temporalités, et exprime la tension entre les deux faces d’un même visage, d’un peuple tiraillé entre traditions séculaires et quête de liberté, dans un pays aussi libre que rigide, perpétuellement en mouvement, à la fois à la pointe de la modernité et figé dans le temps.
La démarche photographique : une ode à la nuit, une déclaration d’amour au Japon
En tant qu’asiatique de naissance, Bruno Labarbère s’est toujours amusé du regard occidental porté sur l’Extrême-Orient.
Pourtant, c’est avec ces mêmes clichés, influencé à la fois par Lost in translation (film de Sofia Coppola sorti en 2003), Stupeurs et tremblements (roman d’Amélie Nothomb paru en 1999 et adapté au cinéma en 2003) et Paprika (film de Satoshi Kon sorti en 2006) qu’il pose ses premiers pas au Japon en 2011 et qu’il est à son tour confronté à la dichotomie entre ses aprioris initiaux et ce qu’il découvre de la vie japonaise, et tout particulièrement de sa vie nocturne.
Il observe cette tendance au « seul ensemble », à cette mélancolie qui se dessine sur les visages. Frappé visuellement par ce qu’il voit au cours de ses différents voyages, revenant sans cesse explorer les mêmes lieux, il pense porter un regard absent de toute référence photographique.
C’est une fois ses images produites qu’il commence à les montrer et comprend que son travail est empreint d’une esthétique toute japonaise, oscillant entre l’ère Showa ou l’ère Heisei, du nom des courants esthétiques correspondant aux deux dernières ères impériales.
Sa photographie de rue exprime sa volonté d’une démarche libérée des contraintes de temps. Il s’agit d’abord de se laisser porter par le hasard des rencontres dans un monde de la nuit moins agressif, plus ouvert, où la lumière, tamisée, ne gêne plus le myope qu’il est. Il partage à travers ses images ses propres expériences sensorielles et émotionnelles et nous donne la clé pour entrer d’un univers banal pour les Japonais mais propre à envoûter nos imaginaires d’occidentaux.
La photographie lui permet de garder une trace de moments volés au temps, quand ceux qu’ils rencontrent. « Quand les gens ne font plus attention à ce qu’ils sont, ils sont beaucoup plus intenses » , nous dit Bruno Labarbère.
Hommage candide à une pratique courante au Japon élevée au rang d’institution, fascination pour cette vie nocturne alcoolisée d’un pays où les relations hommes-femmes restent complexes, où la vie de bureau nécessite des soupapes pour se libérer du stress et des injonctions de présence et de performance, MIZUWARI montre une société loin de n’être qu’une société robotisée et qui reste profondément humaine. Bruno Labarbère a réussi à se fondre dans les décors. On oublie sa présence. Sans zoom, il s’approche de ses sujets, il fait partie le temps d’une nuit, de leur monde. Sans jugement, il nous donne accès à ce monde des salarymen qui semble si éloigné du nôtre.
La commissaire d’exposition Laura Serani a compris la nostalgie et la poésie qui se dégagent de ces images. Ce n’est pas étonnant qu’elle ait choisi Bruno Labarbère pour faire partie des Tremplins Jeunes Talents lors de l’édition 2022 du Festival Planches Contact de Deauville.
“Mizuwari nous plonge au tréfond de sensations et émotions où les repères d'espace et de temps se diluent aussi vite qu'une pensée fugace. Des images subconscientes semblent émerger de souvenirs venus d’un territoire inconnu. L'encre noire de la nuit, la douceur nostalgique de l’aube qui s'éveille et les lumières irrationnelles des jours si rationnels de Tokyo fusionnent pour créer une confusion entre existences passées, présentes et futures.
Diana Lui
[extrait de la préface]
Le livre : un objet !
Véritable objet, le livre MIZUWARI s’appuie sur une fabrication pointue avec un système de volets et de rabats qui s’ouvrent pour faire dialoguer les images entre elles de plusieurs manières et jouer avec l’effet de surprise de nouvelles associations d’images qui se créent..
Dans un jeu de dévoilement, de nouvelles histoires se racontent, montrant toute la complexité de ce jeu social. Une reliure avec spirale donne à cet ouvrage sa dimension de carnet et s’affranchit des codes du livre de photographie classique pour en faire un objet du quotidien, un cahier de recherches, un outil de réflexion personnelle
Comme Tokyo, ce livre n’est pas figé et chacun peut le parcourir à sa guise, dans le sens occidental (de gauche à droite), ou japonais (de droite à gauche), chaque lecteur pouvant découvrir une histoire différente selon comment il le parcourt, le déplie, le replie, le combine et l’explore.
Qui est le photographe Bruno Labarbère ?
Né en Thaïlande en 1987, vivant en France depuis 1992Bruno Labarbère se destine d’abord à une carrière d’ingénieur designer automobile. Sa vie prend un tournant radical lorsqu’il achète, par hasard, son premier appareil photographique en 2007. Se rendant compte que les mathématiques appliquées ne sont pas faites pour lui et qu’il peut tout aussi bien retrouver dans la photographie ce mélange d’art et de technicité qui le passionne, il quitte son université de Bordeaux et s’inscrit en BTS de photographie à Paris… mais ne finit jamais ses études, préférant flâner dans les rues de Paris, son appareil photo à la main. Grâce au hasard des rencontres, souvent dans des bars, il est, de 2010 à 2020, tour à tour vendeur en Leica Store, chef de la rubrique photographique du site LesNumériques.com, journaliste pour les magazines "Réponses Photo" puis Le Monde de la Photo. Une décennie sur le versant technique de la photographie arrêtée nette par la pandémie de la Covid-19.
Le premier confinement est l’occasion de prendre le temps d’enfin trier ses archives photographiques, où les nuits parisiennes côtoient les rues du Japon, où il s’est rendu pour la première fois en 2011 et qu’il considère depuis comme son troisième pays d’adoption. Enfermé comme des millions d’autres, la (re)découverte de ces clichés lui donne l’impression de voyager dans ce Tokyo nocturne dont les portes resteront fermées aux étrangers pendant plusieurs années. D’images en souvenirs, une histoire se reconstitue. Bruno Labarbère montre alors son travail à des photographes, des libraires, des journalistes, des éditeurs, et assimile chacune des critiques. Alors que les clichés n’étaient pas prémédités, chacun y voit une référence artistique différente : Daido Moriyama pour la spontanéité, William Klein pour les scènes de vie, Ed van der Elsken pour les jeux d’ombres. Au fil des retours, le projet évolue jusqu’à devenir ce livre à paraître aux éditions Hemeria.
Admis en résidence au Festival Planches Contact 2022 dans le cadre des Tremplin Jeunes Talents, il a exposé à l’automne dernier au musée des Franciscaines à Deauville : une déambulation nocturne dans les bars de la ville…
Expositions et partenaires
Le travail de Bruno Labarbère est soutenu par la Galerie Echo 119 (qui représente Araki Nobuyoshi en France).
Deux nouvelles expositions de MIZUWARI sont à venir en 2023 :
– Galerie Echo 119 (mai)
– Leica Store Paris 8e (juin).
Pour en savoir plus :
Rencontre avec Bruno Labarbère, documentaire en deux parties réalisé par Vincent NVan
> https://youtu.be/WatiGNqYhuA
> https://youtu.be/NienlDrDfR0
Interview avec Bruno Labarbère, réalisé par Emmanuel Pampuri
> https://youtu.be/Y4rWpK8qhKg
Une présentation du projet est organisée le jeudi 16 février de 18h à 21h à la galerie Écho 119.
Tirages disponibles >>> à choisir entre les photos A à N
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Photo A format 15×20 cm (contrepartie à 120€)
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Photo B format 20×30 cm (édition de tête)
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Photo C format 20×30 cm (édition de tête)
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Photo D format 20×30 cm (édition de tête)
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Photo E format 30x40 cm (850€) ou 60x90 cm (1800€)
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Photo F format 30x40 cm (850€) ou 60x90 cm (1800€)
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Photo G format 30x40 cm (850€) ou 60x90 cm (1800€)
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Photo H format 30x40 cm (850€) ou 60x90 cm (1800€)
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Photo I - format 30x40 cm (850€) ou 60x90 cm (1800€)
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Photo J - format 40x60 cm (1200€) ou 60x90 cm (1800€)
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Photo K - format 40x60 cm (1200€) ou 60x90 cm (1800€)
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Photo L - format 40x60 cm (1200€) ou 60x90 cm (1800€)
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Photo M - format 40x60 cm (1200€) ou 60x90 cm (1800€)
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Photo N - format 40x60 cm (1200€) ou 60x90 cm (1800€)
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